
Credit: Andreas Gursky, 99 cent
L’AUTHENTICITÉ UN TERME QUI FAIT DÉBAT À PLUS D’UN TITRE
Une authenticité d’autant plus énigmatique qu’elle reste pour beaucoup d’entre nous une notion confuse dans la mesure où elle n’est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni historique. Car enfin, de quelle authenticité parle t-on? Celle surgissant du fond des âges, résultat d’une longue sédimentation comme celle du volcan de Volvic ou de celle surgissant de notre IPhone sous forme de notification flash. Qui de la montagne ou d’un téléphone aura le dernier mot ?
Habilitée désormais à caractériser un individu, une émotion, une œuvre d’art, une région, une technologie ou plus prosaïquement une terrine de lapin premier prix, l’authenticité est assurément le nouvel argument d’autorité le plus bankable de sa catégorie. Une vérité tout terrain, toutes options, corvéable à souhait qui n’en finit plus, telle une matière molle, d’être malaxée, tordue, étirée dans tous les sens notamment par les nouvelles technologies, contrainte de performer sur des registres d’expertise, de citoyenneté, de connivence sans cesse plus larges.
Désormais, est authentique tout ce qui parle vrai, tout ce qui est sincère, cash, qui « dresse les poils » comme ils disent dans The Voice, que ce soit dans sa démarche, dans sa conception, ou dans son franc parler. Dorénavant faut s’y faire, le système des montres Piaget n’est pas plus authentique que la grosse colère de Joanna dans Les Anges de la Téléréalité sur NRJ12 ou la confession supère poignante de Robert, quinqua romantique écrivant des poèmes sur sa moissonneuse batteuse dans Le Bonheur Est Dans Le Pré.
Faute d’un arbre généalogique clair, l’authenticité devient une opinion, une impression, une onde que chacun invoque, évoque, suggère, mais surtout agite, brandit fébrilement comme un certificat de naissance, histoire d’être digne de figurer sur la grande photo de famille. Un cliché qui gagne chaque jour un peu plus en largeur tant le nombre « d’ayant droit » augmente.
Qui y a t’il de commun entre l’authenticité de la formule du Chanel n°5 et la recette prétendument inchangée du Big Mac depuis seulement 20 ans? Rien … si ce n’est la perception du consommateur qui, désormais, place au même niveau d’intensité et de sincérité les deux marques.
Une pesanteur morale
Sur quelle base décide t-on d’affirmer ce qui est authentique de ce qui ne l’est pas, comme si tout ce qui venait ensuite ne l’était dèjà plus. Le Baron Hausmann avait t-il conscience de construire un Paris « authentique » dont s’émerveilleraient trois siècles plus tard le monde entier. Certes non. Gustave Eiffel avait-il pour objectif de bâtir l’un des monuments les plus emblématiques du XXème siècle, pas plus. Tout deux avaient simplement conscience de faire pour le mieux. Une authenticité qui ramène invariablement la notion d’idéal à se voir conjuguer au passé, au plus qu’imparfait et jamais au futur, faussant immanquablement tout rapport apaisé avec la modernité. L’authenticité serait donc inéluctablement marquée du sceau de la culpabilité et de notre incapacité à créer de la nouveauté dont l’intemporalité transcenderait par son éloquence, les goûts et les inclinaisons de chacun.
Un enjeu de pouvoir pour imposer notre rayonnement
Si on peut se féliciter à raison de la notoriété des artistes et artisans portant à bout de bras les savoir-faire français dont les corporations les plus diverses sont réunies sous l’égide du Comité Colbert, ce culte de l’auto satisfaction ne nous a t-il pas fait perdre de vue l’essentiel ?
Préserver et promouvoir les savoir-faire liés à l’identité de la France, telle est la noble mission de ce prestigieux cénacle. Mais, cette préservation, n’a t-elle pas sans le vouloir jeté sur les savoir-faire des autres nations une sorte de discrédit involontaire liée à une vision hautaine de nous-même, persuadés qu’en dignes héritiers du Roi Soleil, rien ne pourrait assombrir la brillance de nos maîtres joailliers, la créativité de nos tailleurs haute couture, la fertilité de nos vignes et de nos cépages, la dextérité de nos céramistes d’art et autres tapissiers du musée du Louvre.
Car évidemment, l’authenticité est aussi une affaire de rayonnement international. Un rayonnement qui a peut être fini par nous aveugler tant nous avons cru malheureusement que ces rayons illumineraient pour l’éternité aux quatre coins de l’univers, l’éloquence des savoir-faire français. Malheureusement, nos « vieilles pierres » dont les américains raffolent finissent par peser lourd. Comme le dit Tobie Nathan, nos mille ans d’histoire chargent le concept d’une richesse indéniable mais aussi d’une vision hautaine autocentrée sur elle-même. Elle finit par devenir un « piège que se tendent les défenseurs d’un ordre ancien non par amour de celui-ci mais par crainte de ne rien créer de plus audacieux ».
Un « code » de communication plus qu’un « contenu » réel
Les consommateurs sont incontestablement en quête d’authenticité, mais probablement davantage en quête de vérité symbolique. L’authenticité ne dépend donc plus seulement de la volonté de la marque de s’afficher comme telle mais aussi du bon vouloir du client de la reconnaître comme conforme à ses attentes. L’autre question n’est pas de savoir si l’individu a réellement une expérience authentique, mais plutôt si celui-ci confère à l’expérience de l’authenticité. Faute de pouvoir nous délivrer une prestation convaincante, nombreuses sont les marques à nous vendre une fiction à laquelle le consommateur finit par adhérer. Allées généreuses, amplitudes horaires, livraison gratuite, sac à courses design. Ces objets ou services sont alors principalement perçus comme des signes et symboles d’authenticité, même s’ils ne sont pas intrinsèquement authentiques.
Alain Rousso