Lorsqu’en 1992 sort Féminité du Bois, la parfumerie n’est plus habituée aux sillages à forte personnalité. Pierre angulaire de l’œuvre olfactive de Serge Lutens, cette fragrance est aujourd’hui de nouveau sous les feux de la rampe. Son créateur nous parle d’elle, et du parfum en général.


Créé pour Shiseido, Féminité du Bois a 17 ans. Mais il a vu le jour en 1968. Au moins dans l’esprit de Serge Lutens qui, cette année-là, découvre le Maroc et une branche de cèdre qui traîne sur le sol d’une menuiserie dans un souk : « Je me suis dit que ça sentait bon, alors j’ai gardé ce morceau de bois, juste comme ça. À ce moment, j’ai su qu’un jour, je créerais une fragrance au cèdre. Pour moi, le parfum est comme l’écriture : c’est un recul, l’ensemble de tout ce que l’on a fait avant, une réflexion qui se traduit sur le temps. Dans le parfum, tout est affaire de retrouvailles. Donc Féminité du Bois, quelque part, est encore plus ancien : il a en fait 67 ans. »
Considéré comme le chef de file d’une nouvelle parfumerie, Féminité du Bois glisse aujourd’hui du catalogue de Shiseido pour rejoindre les collections de Serge Lutens et Les Salons du Palais-Royal. L’occasion d’une conversation avec un fin joueur de mots autant qu’un subtil écrivain d’essences et des sens.

En créant Féminité du Bois, aviez-vous l’intuition d’être le point de départ d’une nouvelle conception du parfum ?
Serge Lutens. – Quand je suis arrivé dans ce très petit monde, mercantile de surcroît, la parfumerie en était réduite à sa pire expression : une base de données marketing, calibrée pour faire des succès d’argent. Nous en étions à faire des « soupes de jus » regroupant jusqu’à quatre cents ingrédients ! Et il ne fallait pas que l’on puisse les reconnaître pour coller à une odeur commerciale, socioculturelle – la femme active, l’homme sportif, etc.
Moi, j’ai fait l’inverse, j’ai fait une création en forme d’acte de résistance : Féminité du Bois, c’est un « non », un « pas d’accord ». Je ne me posais pas la question de savoir s’il aurait un impact ; ce parfum, c’était ma propre recherche d’une identité, la mienne et celle du bois. Respecter l’identité du bois, c’était retrouver la mienne. Pendant sa fabrication, tout le monde m’a lâché. Chemin faisant, les gens ont accroché des wagons à cette idée et ont commencé à y croire. À sa sortie, s’il y avait encore 50 % de « dissidents », Féminité du Bois est apparu comme un retour à la pureté, à l’identification possible d’un matériau en parfumerie. Après lui, aucun parfum ne s’est plus fait de la même façon.
Le Figaro Madame – Claire Mabrut