
Le marché du “sans gluten” ne cesse de s’enrichir.
Comme il paraît lointain le temps où les intolérants au gluten traînaient leur solitude dans les corners poussiéreux des magasins spécialisés ! A l’époque, le tennisman serbe Novak Djokovic mangeait encore des pâtes. Gwyneth Paltrow s’activait davantage sur les plateaux de cinéma qu’en cuisine.
Les personnes atteintes de maladie coeliaque – une pathologie inflammatoire due à l’ingestion de gluten, matière protidique présente dans le blé, le seigle et l’orge – devaient se contenter d’un bien peu tolérant “glu quoi ?” dès qu’ils s’aventuraient au restaurant.
Un vent nouveau soufflerait-il sur le royaume de la baguette et du croque-monsieur? En quelques années, la résistance s’est en tous les cas massivement organisée. Restaurants, épiceries, livres de recettes, plats cuisinés et surgelés, menus TGV, maquillage et même site de rencontre (Glutenfreessingles.com), le marché du “gluten free” ne cesse de s’enrichir, nourri par l’obsession du manger sain, un meilleur dépistage des allergies et des intolérances, et un incontestable effet de mode.

Les “no glu” ont leur logo et leurs égéries
La moisson, excellente, s’annonce durable : selon le cabinet d’analyses économiques Xerfi, les ventes dans ce secteur de niche en pleine expansion devraient doubler entre 2012 et 2015, pour atteindre 45 millions d’euros. Seul 1 Français sur 100 serait intolérant au gluten, mais on estime entre 10 et 20 % le nombre de cas non diagnostiqués.
La tendance est particulièrement visible dans les grandes villes. A Paris, les “no glu”, comme on les appelle parfois, fréquentent la pâtisserie Helmut Newcake, le Café Pinson ou encore… Noglu, temple bobo situé passage des Panoramas (IIe). Ils peuvent également se fournir à la boulangerie Kayser de la rue de l’Echelle (Ier), avant de dîner – chèrement – d’une salade aux graines de kachka et d’un poulet noir accompagné de polenta au Fouquet’s Barrière.
Le mouvement a son logo (l’épi de blé barré, certifié par l’Afdiag, ou Association française des intolérants au gluten), ses égéries, telles Nadia Sammut, créatrice du mouvement With love allergen free, ou Marie Harvard, dont le site, Sortirsansgluten.com, répertorie près de 150 restaurants “no glu” en France. Vivre “sans”, c’est aussi adopter ce parler chic un brin codé qui fait merveille dans les dîners de foodistas : à la formule “sans gluten” on préfère ainsi celle, moins stigmatisante et plus vendeuse, de “libre de gluten”, traduction littérale de sa cousine anglo-saxonne (gluten free).

La note reste salée
“Pourquoi les farines de riz, de maïs et de sarrasin nous coûtent-elles trois fois plus cher que la farine de blé? Cela n’est pas logique. Il faut développer la concurrence entre les marques et mettre l’accent sur le goût”, résume Clémentine Oliver, dont l’intolérance au gluten a été diagnostiquée en 2010.
Si les fabricants gardent l’absolu secret-défense sur leurs marges, ils le reconnaissent : la note reste salée pour le consommateur. Mais on ne fabrique pas des crackers à la farine de châtaigne exactement comme des pots de yaourt. “Les cadences de production n’ont rien à voir avec celles du mass market. Les normes de sécurité sont très exigeantes, les recettes complexes. Il est vrai cependant que la question du goût revient sans cesse dans les études réalisées auprès de nos consommateurs. C’est en rendant les produits meilleurs que le marché continuera à se développer et qu’il entraînera la baisse des prix”, explique Philippe Stretz, président de Lightbody Europe, distributeur en France de la marque Genius.
En attendant cette deuxième révolution, certains prennent leur destin en main. Dans la métropole lilloise, trois copines “concernées” ont monté La Compagnie sans gluten. Celle-ci propose des mets sans blé ni lait sur commande et dans quelques magasins bio. Clémentine Oliver aussi passe désormais beaucoup de temps en cuisine.
Entre huit et dix heures par jour, cette jeune psychologue pour enfants dose, saupoudre, malaxe et pétrit ses ingrédients, en quête de la formule idéale du pain au romarin, des cannelés et mille autres douceurs. “C’est devenu ma vie”, avoue-t-elle. Encouragée par le succès d’un livre écrit en collaboration avec son père, le chef Michel Oliver (Je cuisine sans gluten et je me régale !,Albin Michel), la jeune femme a créé son blog et passe en ce moment un CAP cuisine et pâtisserie. En attendant de créer, peut-être, sa propre affaire.