LE PHÉNOMÈNE DES MICROBRASSERIES
Les microbrasseries sont-elles la « signature terroir » qui manquait à la bière? Telle est la question que l’on peut raisonnablement se poser au vu du succès que celles-ci enregistrent en France, et de manière générale dans le monde. Un succès lié aussi en partie au renouveau gastronomique en général, où les consommateurs sont prêts à boire moins mais mieux. Coté organoleptique, ces micro-marques se distinguent aussi par un goût plus acide. Les levures sauvages, comme les brettanomyces, signent les nouvelles bières tendances.
Apparues pour la première fois au Royaume-Uni dans les années 70, les micros unités de production sont en passe de devenir un phénomène planétaire touchant aussi bien l’Europe que l’Asie. Aux États-Unis, ces « craft beers » représentent 10% du marché. En France, leur nombre aurait doublé en 5 ans pour atteindre près de 1200 unités.
Être une alternative locale et humaine aux industriels de la bière
Valoriser l’origine et la qualité des houblons face à l’offre standardisée des multinationales comme Heineken ou AB Inbev, tel est l’objectif que se fixent ces indépendants. Une production qui ne doit pas pour autant dépasser les mille hectolitres par an. Ces brasseries sont désormais organisées depuis peu en syndicat souhaitant être un contrepoids aux grands groupes plutôt représentés par les Brasseurs de France.
Réveil des terroirs
Si elles ne représentent que 5 % du total en France, la production des microbrasseries, elles, réorientent à la hausse de 3 % un marché en baisse jusqu’alors. La bière se veut locale, élaborée à partir des matières premières produites sur place, et consommées dans la région, à base d’orge, d’avoine, de blé, et de houblon, selon les cultures de la zone de brassage. Des fermes ont ainsi trouvé un nouveau souffle, des villages ont ressuscité autour d’une brasserie. Comme Chargey-lès-Gray (Haute-Saône), où Mathieu Bernard, fort de son diplôme de brasseur de l’université de La Rochelle, a ouvert brasserie et taverne pour les dégustations. Il y propose des bières très houblonnées, élevées en barriques. Chaque année, il élabore une bière en fût de Nuits-Saint-Georges. Les arômes diffèrent. « Ils surprennent et séduisent des consommateurs qui ne voulaient pas entendre parler de bière jusqu’alors ».
Des consommateurs friands de rituels
Ces jeunes microbrasseries ont très vite saisi l’intérêt qu’il y avait à développer autour d’elles un rituel susceptible de captiver des communautés de consommateurs pour qui l’expérience et l’initiation l’emportent désormais sur le prix, la notoriété, ou la publicité. Désir de voir, de comprendre, de toucher, voire de participer activement à la production du breuvage lui-même, comme le proposent certaines brasseries.
Désormais le « Do It Yourself » est en train de se trouver une nouvelle application dans le domaine, jusqu’alors confidentiel, de la bière. Bière de quartier, bière de rue, voir bière de salle de bain, n’importe qui peut s’installer comme brasseur, pourvu que sa production puisse véhiculer un goût, un savoir-faire, une authenticité qui parle au cœur de clients qui sont aussi souvent ses voisins.
Résultat, l’offre en termes de marques a littéralement explosé. « Il y a aujourd’hui près de 5.000 marques de bière en France ».
Des groupes industriels sommés de réagir
Les grands groupes n’ont pas tardé à réagir et se sont mis à racheter, d’abord aux États-Unis, puis en Europe, des brasseries artisanales pour compléter leur portefeuille de marque. Ainsi, Bosteels (Kwak, Triple Karmeliet, Deus des Flandres) a été racheté par le numéro un mondial de la bière AB Inbev, ou London Fields Brewery par Carlsberg. Fait nouveau, cette prise de contrôle ne sonne en rien, bien au contraire, l’autonomie des marques achetées.