Au moment même où nombre d’états renoncent à leur souveraineté politique, économique et financière au profit de structures lointaines et désincarnées, l’Homme se sent menacé dans ses spécificités historiques dont sa région, son histoire, ses traditions culinaires deviennent des icônes encombrantes pour ce nouvel ordre mondial qui ne veut plus voir en lui qu’une poignée de postulats, d’algorithmes dont on étudie les fluctuations de New York à Francfort en passant par Davos.
Pendant qu’on délocalise ses traditions à Bruxelles, son avenir à Wall Street et ses emplois en Asie, l’Homme se présente au seuil du XXIème siècle, vidé de sa sève identitaire par le même câble qui, de divertissement en nourriture le relie indéfectiblement à une matrice, laquelle s’il n’y prend garde pourrait aussi bientôt lui servir de racine parentale.
Le désir d’authenticité naît à l’interface de cette triple amputation réalisée sans morphine ni ménagement, amputation à la fois culturelle, économique et historique.
Elle puise ses racines dans un phénomène de désamour aigu mêlant amertume, suspicion et cynisme vis-à-vis d’institutions ou d’idéologies dont elle dénonce la dérive technocratique, fusionnant méthodiquement peuple et culture en une seule espèce.
L’authenticité militante : un désamour violent de la modernité et de ses avatars
Faire tomber les masques et dénoncer un modèle de consommation effréné… L’idéal matériel est-il un idéal moral ? Une question qui fait écho aux errements d’un capitalisme débridé, dénoncé tant par les citoyens que par leurs gouvernements.
S’en suit un regain d’intérêt pour les discours parfois radicaux issus de mouvements alternatifs souhaitant la décroissance afin de stopper le gaspillage alimentaire, préserver les ressources naturelles restantes et mieux répondre aux besoins vitaux de chacun.
La mondialisation serait une forme de déchéance, d’aliénation au regard du passé que par son ignorance elle trahit. Elle n’est pas son contraire, elle est sa négation. Elle sort d’une neutralité pour devenir véhémente, anxieuse d’elle-même et devenir une forme d’activisme qui, dans ses formes les plus extrêmes, peut employer la violence.
C’est dans ce contexte d’affaissement des valeurs humanistes, qu’une jeune génération trouve les fondements d’une critique dénonçant une convergence voire une connivence dangereuse des systèmes de production, d’information et de pensée, assurant aux mains qui en ont la charge, une souveraineté alarmante. Par son omnipotence, celle-ci détruit les conditions même de notre adhésion à ses logiques et par là même, la ferveur de ce qui l’a menée là où elle se trouve. Ne plus rien attendre des autres, pas même un défi, tel pourrait être le principe général d’action de cette tendance qui déploie au sein même des schémas comportementaux qui lui sont imposés, une esthétique de la résistance, de la sédition où l’on surinvestit le « Je » de l’action au « nous » de la concertation, des promesses et de l’inaction.
Un « Je » qui exprime le souhait de redevenir un être authentique (du grec « authentiquos » : qui agit de sa propre autorité), ressuscitant par certains côtés, le concept du héros identitaire, non pas celui faussement rebelle disponible dans toutes les tailles chez Gap et Zara, mais celui habité d’une mission, comme l’association L214 à dénoncer, vidéo à l’appui, les maltraitances sur certains animaux au moment de l’abattage. Ou enfin motivé comme le DAL (Droit Au Logement) à occuper de force des appartements vacants.
Alain Rousso