Créée au sein d’un conglomérat contrôlé par l’armée, la société de ventes aux enchères connaît une ascension fulgurante. Elle compte concurrencer les grandes maisons occidentales, Christie’s et Sotheby’s. Nul à Pékin ne peut ignorer la puissance du groupe Poly qui est une machine de guerre au sens propre du terme car cet acteur majeur du monde de l’art chinois a étonnamment été créé par l’Armée populaire de libération.
Avant de faire commerce de porcelaines Ming ou de peintures de l’avant-garde chinoise, Poly donnait dans le tank ou le missile. Aujourd’hui, le commerce des armes reste l’une des cinq activités du groupe, à côté de l’immobilier, de l’énergie, de la destruction de bâtiments et, bien sûr, de la culture.
La branche culturelle n’a cessé de se muscler ces dernières années et le groupe a été désigné comme «modèle pour l’action dans l’industrie culturelle» par les autorités. Et puis, il y a Poly International Auction, cette société de ventes aux enchères qui n’existait pas il y a sept ans, là où les grandes maisons occidentales affichent deux siècles et demi d’existence… Sotheby’s, la doyenne, en 1744, Christie’s en 1766. Aujourd’hui, Poly mène la course en tête en Chine, et joue dans la cour des grands mondiaux. En 2011, pour la seconde année consécutive, Poly occupe la troisième marche du podium mondial.

Un «acte patriotique»
Dans le monde de l’art, Poly est avant toute autre chose en mission. Les dirigeants du groupe ne s’en sont jamais cachés: retrouver, racheter et ramener en Chine des antiquités chinoises dispersées de par le monde est un «acte patriotique», avec en soutien le trésor de guerre de l’armée chinoise. La polémique autour de la vente de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, en 2009, a donné un coup de projecteur sur cette croisade pour le patrimoine chinois.
Voilà pour la patrie. Côté affaires aussi, la charge est bien lancée. Aussi charmante que sûre d’elle-même et du brillant avenir de sa société, Jia Wei, patronne du département d’art moderne et contemporain, explique que «la clé du succès repose sur un fort soutien étatique, qui nous assure de solides ressources financières et une grande crédibilité». Sans doute, mais il est aussi confortable que les maisons étrangères n’aient pour l’heure pas le droit d’opérer en Chine continentale, même si elles attaquent ce marché depuis Hongkong.

Valeur refuge
«À l’étranger, ajoute Jia Wei, vous avez l’image de clients chinois intéressés uniquement par l’argent, mais cela n’est pas vrai, leur connaissance et leurs motivations sont de plus en plus larges.» Certes, mais l’art fait ici clairement figure de valeur refuge, avec des pièces de qualité qui peuvent prendre 10 à 15 % de leur valeur chaque année. Les restrictions gouvernementales sur l’immobilier et les aléas de la Bourse ne font qu’accentuer le phénomène. «Comme partout en Asie, 90 % des gens ici achètent avant tout pour investir», explique Xin Dong Cheng, président de l’association des galeristes chinois. Les grandes maisons occidentales se préparent toutefois à subir la concurrence des ambitieuses Chinoises sur le terrain hongkongais. «Nous allons ouvrir une filiale à Hongkong avant la fin de l’année, explique Jia Wei. Ce qui nous fera entrer en compétition directe avec Christie’s et Sotheby’s.»
La longue marche de Poly Auction vers l’international a donc commencé. Ce printemps, la société a aussi franchi un cap très symbolique, en ouvrant un bureau de représentation à New York. Il ne s’agit que d’y recevoir des clients, certes. Il n’empêche, d’une certaine manière, c’est un peu l’armée chinoise qui débarque en Amérique…