Imagine de John Lennon, « think different » de Steve Jobs… Ou comment, peut-être, les textes utopistes du premier ont inspiré le business model du second. À n’en pas douter la singularité d’Apple réside dans le fait que la marque ne vend plus depuis fort longtemps de la technologie mais implémente des contes de fées dans la vie réelle.
Un nouvel Eden où la pomme serait à nouveau un objet de tentation mais qui cette fois, à mesure que nous la consommons sans modération participerait à notre épanouissement. Un monde qu’Apple souhaite comme le chanteur des Beatles sans guerre, mais aussi sans paradis, sans religion, sans possession si ce n’est bien sûr, celle d’un produit de la firme de Cupertino, seul capable « d’enfanter » cette société parfaite. Étrange mimétisme entre deux hommes semblant jouer une partition à quatre mains où chaque espoir désintéressé du premier devient une application très rentable pour le second. Deux génies qui se veulent tout deux contestataires et qui, à leur mort seront pleurés, certes pour des raisons différentes, comme deux bienfaiteurs de l’humanité. C’est de ce creuset contre-culturel, utopiste, anticonformiste qu’Apple tient sa spécificité.
Une originalité que des figures comme Einstein, Gandhi, Warhol, Cassius Clay vont nourrir de leur combat, de leur irrévérence, de leur provocation remettant en cause l’ordre établi, qu’il soit scientifique, artistique, politique ou sportif.
« Voici les fous, les marginaux, les rebelles, les dissidents, tout ceux qui voient les choses différemment, qui n’ont aucun respect pour le statu quo. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer mais vous ne pouvez pas les ignorer car ils changent les choses. Ils font avancer l’humanité. « Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie » Apple.
Apporter systématiquement aux consommateurs des réponses à des questions qu’ils ne se sont pas encore posées, tel est sans doute le noyau central autour duquel s’actionne et s’articule l’ensemble de la stratégie d’Apple. La marque ne travaille plus seulement sur la conception d’objets mais bien sur une vision, une représentation philosophique et politique du monde à venir, ainsi que de ses futurs contenus et modalités de transmission en matière d’économie, de culture, d’apprentissage, de santé, ou de divertissement dont Apple tisse patiemment, applis après applis, la physionomie mais aussi l’arborescence diffusante et proliférante.
All you need is… Apple. L’objectif n’est donc pas de servir les attentes des consommateurs, encore moins de les devancer, mais bel et bien de les créer de toute pièce. À la manière d’un démiurge, la marque façonne à sa guise sa cible idéale à qui elle dicte au passage ses nouveaux usages, ses nouveaux besoins, ses nouveaux désirs mais aussi ses nouvelles phobies, peurs ou anxiétés auxquelles Apple, en bon gestionnaire des passions humaines répond systématiquement par une application qui définie, formate les droits et les usages mais aussi le prix.
Avec les produits Apple, on ne navigue pas sur l’immensité du web mais sur un choix d’applications approuvées par la marque. L’argument de la qualité brandi par la compagnie afin de justifier son contrôle sur les applications, permet aussi de décider des contenus. Une marque qui, à coups d’extensions, tisse patiemment sa toile. L’Apple addict se veut expert et blasé. Il ne recherche pas dans le produit une fonctionnalité mais des valeurs d’attrait au travers desquelles il assouvit une quête de soi plus cryptée ou la fonction de codage l’emporte sur l’explication.
La marque devient un signifiant à part entière, qui transforme à leur insu le discours des concurrents dans leurs usages ou dans leurs représentations, souvent contraints d’emprunter l’alphabet et la sémantique d’Apple sous peine de n’être ni vu ni entendu.
Alain Rousso